Le Diamant dans l’Histoire 1800 – 1950
La parution de l’ouvrage collectif « Découvrir, apprécier et identifier les bijoux anciens 1800 – 1950 » a été l’occasion d’interviewer Geoffray Riondet, expert du bijou ancien, expert judiciaire et gemmologue, professeur à l’ING, qui en a dirigé la publication*.
Nous avons également sollicité Gislain Aucremanne, historien de l’art, spécialiste du bijou et responsable des conférences de L’Ecole des Arts Joailliers. L’avis croisé de l’expert et de l’historien éclaire une période riche de l’histoire joaillière explorée ici sous l’angle du diamant.
A l’heure où le marché des bijoux anciens connaît un engouement bien au-delà des frontières européennes, Geoffray Riondet offre, dans son ouvrage didactique chapitré par grands thèmes, une compréhension simple et accessible du sujet avec des repères historiques ou thématiques, une iconographie et une documentation fournies.
Du Directoire aux années 1950
La période choisie, du Directoire aux années 1950, s’impose logiquement pour G. Riondet.
La fin du 18ème siècle est extraordinairement riche en parures de diamants et de perles. Louis XIV, bâtisseur de Versailles et protecteur des arts, adorait les diamants et ce goût du faste s’est poursuivi jusqu’à la cour de Louis XVI, où l’on portait des pièces de diamant sur les vêtements, les ceintures, les boucles de chaussures, les épées, etc… G. Aucremanne souligne que le fameux « collier de la reine », fabuleux joyau de près de 650 diamants pesant 2 800 carats, dont on dit qu’il équivalait en valeur à 6 châteaux, est un symbole de cette extravagance.
Après la Révolution française, une nouvelle ère du bijou s’ouvre jusqu’en 1950 avec des époques fastes pour le diamant. Après 1950, on ne parle plus de bijoux anciens mais de bijoux vintage. C’est aussi une charnière car la France perd en partie sa prédominance sur le marché de la joaillerie. L’arrivée des grands groupes deviendra peu inéluctable pour accompagner dans la montée en puissance et l’internationalisation des Maisons.
Les provenances du diamant
Dans son chapitre consacré au diamant, G. Riondet rappelle qu’à la fin du XVIIIème siècle, les diamants avaient trois origines, les bijoux confisqués par les révolutionnaires, l’Inde et le Brésil. Les mines de Golconde en Inde, source unique du 8ème siècle avant JC jusqu’au début du 18ème (soit 26 siècles !), sont célèbres pour avoir donné certains des plus beaux diamants du monde. Le terme « eau de Golconde » désigne encore aujourd’hui des diamants d’une exceptionnelle pureté et d’un éclat submétallique.
Les diamants de la région de Mina Gerais au Brésil, découverts plus tard, vers 1725, affluent en Europe pendant un siècle où ils fournissent abondamment une nouvelle bourgeoisie d’affaire qui s’enrichit. De petite taille, ces diamants sont assez peu connus du public. Il est d’ailleurs probable que beaucoup aient été mélangés aux diamants indiens dans le port de Goa, par lequel ils transitaient, relate G. Aucremanne, pour mieux se vendre. L’Inde était comme une évidence pour le diamant, les trésors moghols faisaient rêver… ajoute-t-il. La plupart des grands diamants historiques sont indiens, comme le Grand Sancy, le Koh-i-Noor, le Hope, le Regent, l’Orloff et d’autres encore.
Les mines sud-africaines ne seront découvertes qu’en 1866 et la compagnie De Beers fondée en 1880. Alors que les prix des diamants triplent entre 1830 et 1869 en raison de l’assèchement des mines brésiliennes, une abondante quantité de très beaux diamants commence à arriver d’Afrique du Sud sur les marchés européen et américain. Elle permet de répondre à la demande importante d’une nouvelle clientèle, enrichie par la révolution industrielle du milieu du XXème siècle.
L’Empire et le triomphe du diamant, objet de prestige
Pour la période concernée par l’ouvrage, sousl’Empire, alors que la Révolution française est encore dans tous les esprits, l’influence de l’Antiquité « parce que les Grecs ont inventé la démocratie et les Romains la république » précise G. Aucremanne, se fait sentir dans la mode et la parure (robes flottantes, taille haute, grand décolleté, bras nus ou manches étroites). Pour accompagner ce nouveau style vestimentaire qui transforme l’apparence du corps féminin, colliers, boucles d’oreilles et bracelets prennent de l’importance. Aux diamants viennent s’ajouter les couleurs franches des pierres dures (malachites, jaspes, agates, cornalines…). Celles-ci composent de superbes intailles et camées inspirés du style antique, comme le montrait très bien l’exposition de Chaumet Joséphine & Napoléon, une histoire (extra)ordinaire, mai-juillet 2021. Les diamants subliment ces parures qui sont de véritables petites œuvres d’art.
Pour Napoléon, pierres et joyaux font partie du prestige de l’Empereur et de la cour. Son épée de sacre est sertie du célèbre Régent, un diamant de plus de 140 carats, très pur, emblématique des Bourbons et qui conférait à l’Empereur cette légitimité de naissance et de noblesse qui lui manquait. Le Régent est aujourd’hui exposé au Louvre. La famille de l’Empereur, tout comme les impératrices Joséphine et Marie-Louise, reçoivent également de très beaux bijoux de diamant réalisés par les joailliers de l’époque tels que Biennais, Nitot (ancêtre de Chaumet), Mellerio.
La fin de l’Empire voit émerger un monde plus bourgeois, qui adopte de nouvelles valeurs, comme celle du travail. Le bijou ostentatoire, auparavant réservé à l’aristocratie, n’est plus de mise mais la production reste très créative et éclectique. Le répertoire végétal est une constante dans les sources d’inspiration, le montage des broches en « trembleuse » apparaît, donnant aux feuillages de diamant une légèreté et des jeux de lumière jusqu’ici inégalés. Aujourd’hui, ces pièces sont parmi les plus prisées lors des ventes aux enchères, constate G. Riondet, tout comme les ornements de tête. Il s’étonne, avec une pointe de regret, que ces bijoux, véritables témoins de notre histoire joaillière, séduisent peu les collectionneurs européens mais trouvent preneurs en Asie.
La Belle Epoque, délicate poésie des diamants
Après la guerre de 1870 suivie d’une longue crise économique, il faut attendre la Belle Epoque, à partir de 1895, pour qu’une une nouvelle période faste s’ouvre pour le diamant.
Le style guirlande de Cartier s’impose avec des motifs floraux qui ont la délicatesse d’une dentelle. Entièrement réalisés en diamant et montés sur platine, le nouveau métal qui remplace l’argent, ils ornent de grands colliers et des diadèmes. Les bijoux s’inspirent des dessins d’ornement du XVIIIème siècle, rubans, nœuds, dentelles, fleurs. Ils deviennent transformables. Boucheron, Chaumet, Van Cleef & Arpels empreintent à leur tour au style guirlande pour imaginer des pièces de diamant poétiques et légères. Illustrant un travail et une finesse remarquables, les ailes effilées du diadème aigrette de Chaumet sont d’une élégance absolue.
Au tournant du XXème siècle, à la période Art nouveau, le diamant s’efface en partie. L’accent est mis sur la recherche de nouveaux thèmes, conjugaison fantasmée de féminité et de naturalisme, utilisant des matériaux inattendus en joaillerie (émail, verre, coraux, corne, écaille, ivoire). Le diamant, discret, n’est là que pour sublimer la création et apporter sa lumière sous forme de discrets
pavages.
La période blanche, géométrie et pureté de l’Art déco
Il faut attendre l’Art déco et les années 1925 pour que le diamant retrouve une place triomphante. G. Riondet évoque cette fameuse « période blanche » où l’on ne travaillait plus que le diamant : « La structure naturelle de la pierre correspondait parfaitement aux styles géométriques de cette période, des cercles, des lignes, des triangles, des rectangles ». Les tailles trapèze et baguette apparaissent à ce moment-là pour épouser la géométrie de cette nouvelle joaillerie. La couleur blanc-gris du platine se fond parfaitement avec la lumière blanche du diamant et sa résistance particulière permet de travailler les montures avec une grande finesse de détail.
Des styles éclectiques se côtoient, mélangeant le diamant aux couleurs vives des jades sculptés ou des émeraudes, saphirs et rubis gravés du style Tutti Frutti de Cartier. L’association de nuances chromatiques franches telles que l’onyx avec le corail répond à la pureté du diamant dans des montures géométriques et épurées. Les plus belles pièces empruntent à l’art d’Orient et d’Extrême-Orient, alors en vogue dans les milieux aisés européens.
Le diamant règne en maître
A la fin des années 20, les femmes de la haute société portent des robes de soirée à bretelles, très décolletées, bras nus qui mettent en valeur leurs bijoux. Les bracelets sont souvent portés à plusieurs. Les cheveux courts donnent naissance à une nouvelle forme de diadème, le bandeau, qui se porte bas sur le front. Partout, le diamant règne en maître. G. Aucremanne raconte cette anecdote : en 1929, lorsque le musée Galliera organise une exposition de bijoux de diamants, le conservateur s’avise qu’il a devant lui « un grand silence blanc ». Apaisant ? Inquiétant ? Cette remarque est révélatrice de la prédominance du diamant dans la création joaillière qui durera jusqu’à la seconde guerre mondiale.
Quels sont les bijoux qui ont le plus marqué G. Riondet dans ses recherches ? Le diadème aigrette de Chaumet en saphir et diamant, une pièce iconique magnifique. Mais aussi les bagues « toi et moi » ou « vous et moi », composées de deux diamants et les négligés, colliers avec deux pendants en asymétrie qui datent des années 1910. Le négligé est toujours d’actualité et apprécié par les collectionneurs. Sa simplicité, son intemporalité inspirent encore nombre de créateurs de haute joaillerie.
*« Découvrir, apprécier et identifier les bijoux anciens 1800 – 1950 » Ouvrage réalisé sous la direction de Geoffray Riondet avec le soutien de l’Institut National de Gemmologie et de la Maison Riondet, préfacé par Victoire de Castellane, avec la collaboration de Valérie Goupil, Anne Laurent, Brigitte Serre-Bouret, Loïc Lescuyer, Gérard Panczer – Flammarion, mai 2021.