Frank, un Homme qui Prend les Choses à Cœur : Faites Connaissance avec Frank Everett, Premier Vice-Président de Sotheby’s.
Frank Everett, premier Vice-Président et Directeur des Ventes Luxe de Sotheby’s, parle de sa carrière et de son travail avec des diamants naturels toujours plus beaux.
La semaine dernière, j’ai visité la galerie de la maison de vente aux enchères Sotheby’s, à New York. Si vous ne lisez pas plus loin cet article, pensez au moins à ajouter cette visite à votre liste de “trucs sympas à faire en ville”. Sotheby’s New York dispose de six étages d’exposition, est ouvert au public et abrite une collection en constante évolution de certains des plus beaux bijoux, montres, objets d’art et crânes de T-rex de la planète. Si vous vous y rendez, vous aurez peut-être la chance de croiser Frank Everett, premier Vice-Président et Directeur des Ventes Luxe de Sotheby’s.
Si vous vous êtes dit : “Voilà un homme qui a réussi à se diriger vers un job qu’il aime vraiment”, je vous félicite : c’est une observation judicieuse et fondée. Il est merveilleux – et peut-être un peu trop rare – d’aimer son rôle autant que Frank le fait, alors je me suis assis avec lui pour en savoir un peu plus sur son monde et son parcours.
Un extraterrestre curieux visite la Terre et veut que vous lui expliquiez ce que vous faites. Que lui répondez-vous?
Frank Everett: Nous sommes des intermédiaires. Nous mettons les plus beaux bijoux sur le marché et leur trouvons de nouveaux foyers. La recherche de belles pièces est tout aussi difficile que la vente, si ce n’est plus.
Lorsque je travaillais dans le monde de la vente au détail – chez Tiffany & Co., Bulgari, Harry Winston – les stocks étaient toujours pleins. Après une vente chez Sotheby’s, les tiroirs sont vides. Les coffres sont vides. Alors, nous lançons des offres pour acheter des collections, nous parcourons le pays, nos collègues en Europe font des recherches. Nous avons fait une évaluation pour un collectionneur il y a cinq ans, il est temps de la réévaluer, et peut-être voudra t’il vendre certaines pièces.
Nous n’achetons pas tout ce que nous trouvons ; nous travaillons dur pour équilibrer la vente. Pour mettre les bonnes pièces sur le marché au bon moment, vous devez avoir une idée de ce qui attire les gens. Ensuite, nous marketons la collection, nous la vendons, puis nous recommençons.
“Manipuler des bijoux est
Frank Everett
ce qui me passionne le plus.”
A quel moment du process vous vous dites « Je suis fait pour ça ?”
FE: Je pense que c’est le jour du montage de la vente. Je participe chaque année à quatre grandes ventes de bijoux magnifiques – deux à New York, deux à Genève – plus quelques ventes plus confidentielles tout au long de l’année. Pour moi, il y a un tournant le jour du montage. Je commence à installer les bijoux dans une vitrine, je les regroupe pour que tout soit le plus attrayant possible et j’adore ça. Dans mon cœur, je suis comme un commerçant. C’est comme ça que j’ai commencé ma carrière de bijoutier, et quand je serai un vieil homme, c’est comme ça que je la terminerai : debout derrière un comptoir à vendre des bagues.
Puis, le soir même, il y a une réception pour présenter les pièces en avant-première aux meilleurs clients et à la presse. On se démène donc toute la journée pour que tout soit beau, puis on enfile un costume-cravate et on accueille les invités, et c’est le coup d’envoi de la vente proprement dite. C’est très amusant.
Donc c’est ce moment-là. Mais il y a des moments où je suis assis dans ce bureau à m’occuper de missions moins amusantes, et si jamais je me sens ennuyé, je descends dans les coffres, je sors un plateau et je m’assois simplement avec ces objets merveilleux. Manipuler des bijoux est ce qui me passionne le plus.
Vous tirez votre pouvoir des pierres.
FE: Je tire mon pouvoir des pierres. Et des clients ! J’aime vraiment les clients. J’aime aider les gens à trouver la bonne pièce parce que… il y a tellement de choses ! C’est accablant. Imaginons que vous ne vous intéressez pas aux bijoux, mais que vous voulez offrir quelque chose de spécial à votre femme. Vous savez combien d’options il y a ? Je me fiche de savoir si votre budget est de cinq cents, cinq mille ou cinquante mille dollars ; dites-moi simplement ce qu’il en est, parlons de ce qu’elle a déjà, donnez-moi une idée de son style et nous pourrons commencer à envisager des pistes. J’adore aider les clients à trouver la pièce qui leur correspond.
Qu’est-ce que le luxe pour vous ?
FE: Le luxe est… eh bien, le temps est le plus grand des luxes. Mais un tas de gens l’ont déjà dit. J’ai ma propre définition : Le luxe, c’est quelque chose, n’importe quoi, qui vous est spécial, qui vous est unique, qui est pour vous et vous vous êtes donné du mal pour l’avoir. Vous devez y aspirer, vous devez mettre au moins un petit quelque chose de côté pour pouvoir l’obtenir.
Quand je vivais à San Francisco et que je dînais seul dans mon appartement, j’utilisais un set de couverts en argent que j’avais acheté chez un antiquaire pour une centaine de dollars. Ce n’était pas pour recevoir, ce n’était pas pour quelqu’un d’autre, c’était juste pour moi et j’utilisais ce service de couverts en argent chaque fois que je prenais mes repas chez moi.
Cela peut être des fleurs fraîches de chez l’épicier – même si vous n’arrivez pas à payer votre loyer, vous pouvez grappiller huit dollars pour des fleurs fraîches, les mettre dans un joli vase et avoir une belle chose dans votre espace que vous avez placée là juste pour vous.
Parce que je le mérite.
FE : En effet, vous le méritez !
Avez-vous toujours été dans le secteur de la bijouterie ?
FE: J’avais une tante très glamour de Pittsburgh qui, une fois par an, venait nous rendre visite dans notre petite ferme dans la campagne de Pennsylvanie. Elle avait un diamant de dix carats, taillé en émeraude, et ma famille raconte que dès l’âge de trois ou quatre ans, je tenais sa main et fixais le diamant. J’étais obsédé par ce diamant. Je pense que certaines personnes ont l’œil pour capter l’éclat, comme certains cerveaux sont vraiment excités par ce qui brille.
Mais non, j’ai travaillé dans des restaurants pendant environ quinze ans, et j’ai eu mon propre restaurant pendant quelques années à San Francisco. Mais ce n’est pas une vie facile ; on se lève toujours tard, il est difficile de socialiser, c’est dur pour le corps. Et quand j’ai eu quarante ans, j’ai décidé que c’était fini, que je devais changer. Ce qui n’a pas été facile ! Je savais où je voulais être, et je me suis dit “oh, mes compétences en restauration sont tellement duplicables”, mais personne n’était intéressé. Ils disaient : “Mais tu n’as jamais travaillé dans le commerce de détail.” J’ai eu de la chance que Bulgari me propose une place comme vendeur, étant donné que je n’avais aucune expérience. Mais je connaissais l’histoire des grandes maisons, j’étais doué avec les clients et j’ai lu et lu et lu jusqu’à ce que j’arrête de “faire semblant” en matière de gemmologie.
Quelle est la chose la plus embarrassante à ne pas savoir ?
FE: Vous devez être capable de plier un papier en forme de diamant de la bonne façon, et vous avez intérêt à pouvoir le faire rapidement sans même regarder. Quand tu peux faire ça, c’est un signe que tu connais vraiment ton métier. Et puis j’ai dû apprendre ce qu’est un diamant de couleur D, un H, sans défaut par rapport à VS ou VVS, les saphirs non chauffés par rapport aux saphirs chauffés…
…Diamant naturel versus diamant synthétique…
FE: Je ne m’intéresse qu’aux diamants naturels. Pour moi, une grande partie de leur beauté réside dans le fait qu’il s’agit de pierres créées naturellement.
Ils se sont formés, à l’intérieur de notre planète, il y a un milliard d’années.
FE: Oui, ils sont juste apparus – et si vous pouvez recréer ça d’une manière ou d’une autre, je pense que ça rend les diamants naturels encore plus précieux. Parce qu’il y a une différence. C’est comme pour les perles naturelles et les perles de culture. Une perle de culture est une perle. Mais si quelque chose arrive, vous pouvez facilement la remplacer par une autre. Ce n’est pas le cas des perles naturelles.
Bref, j’ai travaillé chez Bulgari, Tiffany & Co. et Harry Winston. Et je suis chez Sotheby’s depuis 2013. Et c’est une chose rare de pouvoir dire que l’on aime son travail ou que l’on a vraiment l’impression d’avoir trouvé sa vocation, mais je pense vraiment que faire quelque chose avec des bijoux est ce que j’étais censé faire pour me rendre heureux. Est-ce que ça sauve des vies ou change le monde ? Non, mais…
Ça l’est peut-être…
FE: Nous avons vu des vies changer dans la salle des ventes. Une fois, trois sœurs organisaient une vente de succession après la mort de leur mère, et elles avaient cette bague bleue qu’elles pensaient être une aigue-marine. Elles l’ont apportée à un de mes collègues pour voir ce qu’elle valait. Il s’est avéré que c’était un diamant bleu et la bague a été vendue pour plus d’un million de dollars. Et cet argent a changé leur vie. Lorsque ces histoires se produisent, c’est vraiment passionnant.
Pour mon premier mandat ici, un homme et sa femme avaient acheté pour quinze dollars une boîte à chaussures de bijoux de pacotille dans un vide-greniers ou un marché aux puces. Ils ont trouvé mon nom sur le site Internet de Sotheby’s, ont jeté la boîte sur mon bureau et à l’intérieur, parmi le bric-à-brac, il y avait une vraie pièce : une broche Schlumberger pour Tiffany en or émeraude et diamants qui s’est vendue plus de 20 000 dollars.
Comment cela peut-il arriver?
FE: Cela peut arriver…Quelqu’un a jeté la boîte à bijoux de cette dame sans savoir ce qu’elle contenait et ses bijoux se sont éparpillés dans le monde.
Peut-être que ça venait d’un amant secret.
FE: Peut-être. Peut-être que c’est quelque chose qu’elle a acheté pour elle-même et dont elle n’a parlé à personne. Mais ces découvertes concernent presque toujours les bijoux. Dans le monde de l’art que nous vendons – peintures, sculptures, argenterie, arts décoratifs – je pense que les bijoux sont les plus personnels. Ils sont portés. Ils sont achetés pour marquer des occasions spéciales, anniversaires, fiançailles, cadeaux de mariage. Les bijoux sont transmis de génération en génération ; ils ont un sens, ils sont durables. Ils ont une valeur intrinsèque. Je veux dire par là qu’au minimum, les pierres ont une valeur. Le bronze, la toile, la peinture, le bois : ce ne sont pas des matériaux ayant une valeur intrinsèque élevée et durable. Avec les bijoux, nous avons des matériaux qui conservent leur valeur. Au minimum, vous pouvez jeter quelque chose sur une balance et obtenir son poids en or, compter les diamants… ce n’est pas juste un objet. Et j’aime ça.
Parmi toutes les collections que vous avez vues passer, qu’auriez-vous aimé garder ?
FE: J’ai travaillé intensivement sur la succession de Bunny Mellon. La plupart de ses bijoux étaient des Schlumberger pour Tiffany, dont elle a fait don au Virginia Museum of Fine Art (c’est pour cela que je peux vous dire : d’habitude, les parties impliquées dans la vente et l’achat sont tenues secrètes). Mais avant d’être transférés au Musée, ils sont restés ici pendant deux ans.
En guise de cadeau de bienvenue, lorsque ses amis venaient lui rendre visite, Bunny Mellon leur offrait une boîte en or massif et lapis-lazuli. C’étaient les plus beaux objets fabriqués pour elle par Schlumberger dans les années 50 ou 60. Au moment de sa mort, elle en avait encore huit ou neuf empilées. Si je pouvais avoir une de ces boîtes, je serais tellement heureux Je la poserais sur la table basse et je la regarderais pour le reste de ma vie. Je pense à ces boîtes. Tout Le Temps.
Quand les bijoux sont là, ils sont à vous.
FE: C’est comme s’ils étaient à moi ! Nous avions une pièce très célèbre : un collier de diamants Van Cleef and Arpels de 1939, réalisé pour la reine égyptienne Nazli afin qu’elle le porte au mariage de sa fille. C’était juste une plaque de diamants autour du cou. Nous l’avons eu pendant environ un an. Et certains jours, pour une raison ou une autre, il fallait qu’il soit posé sur une forme de collier, ici sur mon bureau. Quand il est parti, ça a fait un peu mal.
Est-il au moins allé chez un client qui le mérite ?
FE: Tout à fait. Il est retourné dans les archives de Van Cleef & Arpels ; ils l’ont acheté pour leur propre collection de musée. C’est toujours un plaisir de voir quelque chose de vraiment spécial rejoindre la maison qui l’a fabriqué. J’aime quand les grandes maisons investissent dans leur propre patrimoine.
A quel luxe aspirez-vous ?
FE: OK. Il y a une chose que je posséderai un jour. Cartier a cette série de petites broches art déco qui sont parfaites pour un revers de veste. On les appelle des broches temple. Elles sont presque toujours entièrement faites de diamants et sont des représentations architecturales miniatures de différents temples – romains, grecs, bouddhistes, indiens – de tous styles.
Si je pouvais m’offrir une petite pièce de Cartier, ce serait une de celles-ci. Quand nous en avons ici, je les porte toujours pour des événements. Juste pour les essayer, vous savez. Et elles ne valent pas des millions de dollars. Mais elles finissent généralement par se vendre à plus de 100 000 $. Donc je ne suis pas prêt d’en avoir une.
Mais Frank, c’est un investissement !
FE: Les bijoux Cartier de la période Art Déco sont très bien cotés.
Vous venez de faire une vente aux enchères, non ? C’était bien ? C’était amusant ? Avez-vous quelque chose de cool qu’un acheteur n’a pas encore pris et que je peux voir ?
FE: C’est toujours amusant. Cette vente aux enchères était géniale. Ecoute, si tu veux faire du shopping, tu peux aller sur la 5ème avenue ; c’est complètement différent. Nous avons le meilleur du meilleur du monde qui vient ici. Et tout le monde peut venir voir nos expositions ! J’aimerais que davantage de personnes le sachent. C’est ouvert, c’est gratuit et c’est magnifique. Et pour les gens qui font des offres, c’est une véritable frénésie. C’est intense. Vous n’achetez pas un lot, vous le gagnez. Je dis tout le temps aux gens que c’est comme un sport.
Si c’est un sport, qu’est-ce que ça fait de vous ?
FE: Oh. Je ne sais pas ! Suis-je un entraîneur? Un spectateur?
Oh allez, vous etes quelqu’un duterrain.
FE: Je pense que oui. Vous avez raison. Je fais partie des gens qui font.
Peut-être que vous êtes celui qui convainc.
Non, celui qui convainc reste juste là, non ?
Cela ne sert à rien de courir, il faut juste beaucoup de réglages fins de la cinétique, de la forme, de l’effet de levier et ainsi de suite.
FE: J’aime ça. Oui, je suis celui qui convainc. Ou attendez, peut-être que le commissaire-priseur est celui qui convainc.
À ce stade, Frank et moi avons réalisé que nous étions tombés sur une métaphore imparfaite. Nous avons abandonné au bout de quelques minutes, puis Frank m’a emmené dans les coffres et m’a montré quelques pièces incroyables de bijoux en diamant. Je n’en ai acheté aucun.