Une Fabuleuse Histoire de Diamants : Les Diamants Poires d’Indore
La fabuleuse histoire d’une emblématique paire de boucles d’oreilles en diamants naturels.
Crédits photo : Chaumet, Artist’s Rendition
Rien n’est comparable à la grandeur et à l’élégance des maharajas indiens. L’image d’un roi paré de diamants naturels, présidant sa cour, ou menant une procession sur un éléphant également orné de bijoux, reste gravée dans les annales de l’histoire. À l’époque, les processions royales étaient d’importance capitale car elle permettait de véhiculer la puissance du royaume et d’affirmer le rôle du raja (roi) en tant que chef et protecteur ordonné par un droit divin.
Pendant la période coloniale, la Grande-Bretagne a adopté une politique de « contrôle indirect » dans de nombreux États de l’Inde, où les rajas et les maharajas étaient autorisés à conserver leurs titres, leurs privilèges et leurs territoires en échange de leur allégeance, de leur soutien économique et de l’abandon de l’administration de leur royaume au profit de la force coloniale.
Au fil du temps, la plupart des rois indiens et leurs maîtres coloniaux ont développé de vraies relations. Les enfants des maharajas allaient étudier à l’étranger, ce qui a donné lieu à un mélange culturel unique et à la création des plus magnifiques collections de bijoux en diamants naturels au monde.
Dr Usha Balakrishnan, historienne des bijoux, conservatrice et auteure explique : « Deux événements historiques ont contribué à l’assimilation de la culture européenne en Inde. La première raison de cette assimilation est l’annexion par les britanniques du royaume du Penjab, sous le règne du maharaja Ranjit Singh, en 1849, en dépit de leur alliance dans le traité d’Amritsar. Le second événement ayant contribué à ce phénomène est la défaite de la mutinerie indienne de 1857, le premier soulèvement national contre les britanniques. Ces deux événements ont sûrement fait douter les maharajas de leur capacité à régner. Il est possible que cela ait conduit à l’adoption de choses européennes, par exemple, la jeune génération de rois fut envoyée étudier à l’étranger et des mariages mixtes ont eu lieu, ce qui a influencé les goûts en matière de mode et de joaillerie. »
La Naissance des
Diamants Poires d’Indore
L’histoire raconte que le 26 février 1926, Tukoji Rao Holkar III, Maharaja d’Indore, a dû abdiquer son trône en faveur de son fils Yeshwant Rao Holkar II, âgé de dix-sept ans. Le gouvernement britannique l’a contraint à quitter définitivement Indore en raison de son implication présumée dans le meurtre de Mumtaz Begum à Mumbai, une danseuse de sa cour. Après son abdication, Tukoji Rao Holkar III rencontra en Europe Nancy Ann Miller, une jeune et riche Américaine, et l’épousa en 1928, devenant ainsi la Maharani Shamista Devi Holkar.
Quelques années plus tard, par une froide journée d’octobre 1913, Tukoji Rao Holkar III se rend au salon parisien du joaillier français Chaumet pour acheter un bijou à sa femme. On lui présente deux gros diamants en forme de poire pesant 46,70 et 46,95 carats, ainsi que l’esquisse d’un collier élégant, dans le style lavallière française (un pendentif, à une seule pierre, centré sur un collier). Le prix demandé ? Plus de 631 000 francs (environ 268 000 dollars américain). Tukoji est revenu le lendemain pour commander le collier contenant ces deux diamants naturels extrêmement rares, que l’on appella plus tard les « poires d’Indore. »
La Transformation
des Poires d’Indore
Le fils de Tukoji, Yeshwant Rao Holkar II, est monté sur le trône d’Indore alors qu’il était encore mineur, sous l’influence britannique et la régence. Un portrait emblématique du jeune maharaja, datant de 1933, le montre portant le collier Chaumet que son père avait acheté pour sa belle-mère.
Yeshwant Rao Holkar II et sa reine, Shrimant Akhand Sahib Soubhagyavati Sanyogita Bai Holkar, ont tous deux fait leurs études en Angleterre. Ce qui a permis au couple de développer un goût pour la culture européenne d’avant-garde et le modernisme. En 1930, Yeshwant Rao Holkar II a demandé à l’architecte allemand Eckart Muthesius de construire le palais Manik Bagh, de style art moderne, à Indore. Désireux d’insuffler la modernité dans tous les aspects de sa vie, le jeune maharaja confie en 1933 à Mauboussin, récemment récompensé par plusieurs prix (dont la médaille d’or en 1925 à l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes), le soin de redessiner le collier Chaumet. Pour concrétiser leur vision, Mauboussin a remplacé la forme fluide du collier par une chaîne plus massive, conforme aux sensibilités géométriques de l’époque. La découverte de diamants en Afrique du Sud et l’avènement de l’ère industrielle ont entraîné un afflux de diamants naturels de formes géométriques et de tailles variées. L’une des formes de diamant les plus populaires à cette époque était la taille baguette, utilisée pour le nouveau collier des Poires d’Indore. Le joaillier a aussi choisi d’accentuer les diamants naturels avec la teinte verte contrastante d’une importante émeraude taillée.1
L’héritage des poires d’Indore
L’indépendance de l’Inde en 1947 a fait perdre du jour au lendemain à ses 565 États princiers et à leurs souverains leur position impériale. Craignant de perdre également leurs bijoux au profit du nouveau gouvernement indien, de nombreux membres de la famille royale indienne ont vendu leurs trésors.
Harry Winston a acheté les poires d’Indore en 1946 et a retaillé les diamants à 44,14 et 46,39 carats. Il adoucit les bords du collier Mauboussin en revenant à une forme fluide pour le collier, qui repose sur la clavicule, épousant la base du cou. Les diamants taille baguette continuent d’orner la pièce, contrastant avec la forme en goutte d’eau des poires d’Indore. Au cours des décennies qui ont suivi, Winston a vendu et racheté les diamants naturels jusqu’à ce que le joaillier libanais Robert Mouawad en fasse l’acquisition lors d’une vente aux enchères. Mouawad a transformé les poires d’Indore en une paire de pendants d’oreilles, et les pierres précieuses attendent désormais le prochain chapitre de leur incroyable voyage.
Dans un esprit contemporain, la Maison Chaumet a développé une collection de bijoux et de montres intitulée « Maharani de Chaumet » qui s’inspire du premier collier acheté par Tukoji Rao Holkar III en 1913. Cette collection propose notamment un collier exceptionnel en or blanc, serti de deux diamants poire de type IIA de couleur D, sans défaut, pesant 11,06 et 11,05 carats, soutenus par 636 diamants EF VVS et de taille brillant. Les diamants de type IIA ne contiennent pratiquement pas d’azote (l’azote est responsable de la couleur jaune du diamant), ce qui leur confère un éclat éblouissant. Les deux diamants naturels ont été taillés dans le même diamant brut qui pesait 62,51 carats. Si le collier conserve le style lavallière français, Chaumet a ajouté une dimension supplémentaire en utilisant sa technique emblématique du fil-couteau pour donner une nouvelle vie et une nouvelle texture au collier Maharani de Chaumet, qui rappelle également la frise des colonnes de la place Vendôme.
L’héritage durable des diamants poires d’Indore nous rappelle non seulement la beauté et la rareté des diamants naturels, mais aussi leur capacité à raconter l’histoire de leurs propriétaires.